Le Digital Learning : révolution ou exhumation pédagogique ?

 

Beaucoup présentent aujourd’hui le Digital Learning et plus largement les EdTech comme des domaines porteurs d’innovations voire d’une révolution à la fois technique et pédagogique. Outre le fait que le terme « innovation » soit désormais éculé, tant chacun est tenté d’en faire un usage immodéré voire inapproprié le vidant de son sens premier, il ne semble pas, dans les faits, qu’une révolution soit en cours.

En effet, des plateformes permettant de concevoir et de diffuser des dispositifs de formation en ligne (FOAD) ou des applications dédiées à des apprentissages ciblés existent depuis plus de quinze ans. Les plus récentes d’entre elles, certes dotées de nouvelles fonctionnalités intéressantes (notamment audiovisuelles), proposent toutefois des dispositifs généralement instructionnistes centrés sur un ou quelques « sachants » s’adressant à des « apprenants » passifs. De ce point de vue, et cela quelle que soit la pertinence de l’outil technique, on se contente souvent de reproduire ce qui se passe dans une classe, un amphithéâtre ou une salle de formation mais en changeant d’échelle : de quelques dizaines voire centaines d’apprenants on passe à plusieurs dizaine de milliers sans que le risque de la « solitude du e-learner » soit toutefois réellement considéré.

Si la dimension technique de l’actuel digital learning n’offre pas de difficultés majeures et si les offres qu’il permet de mettre en ligne restent pour la plupart teintées d’un certain académisme pédagogique, pourquoi, dès lors, parler d’innovation et de révolution ? Serait-ce pour des raisons marketing et commerciales ? On serait tenté de le croire tant le principe de « surpromesse expérientielle » semble marquer les opérations de communication « corporate » dans quasiment tous les secteurs d’activités, des startups jusqu’aux plus grandes entreprises et a fortiori parmi les acteurs des Edtech.

En revanche, ce qui change, et ce depuis plusieurs années, c’est l’offre désormais pléthorique d’instruction privée virtuelle, gratuite ou payante que permet la digitalisation et la dématérialisation massive des expériences d’apprentissage. Cette offre concurrence directement les puissances éducative et formative qu’elles soient publiques ou privées. Il s’agit d’un phénomène en cours dit de « désintermédiation ». Il s’agit d’une première historique. Mais peut-on parler de révolution ?

Si l’offre est pléthorique, dans quel contexte émergent les acteurs de la EdTech qui la portent? Quelles sont les finalités des expériences proposées ? A quels enjeux tentent-elles de répondre ? Sur la base de quelles références théoriques et pratiques ? Permettent-elles réellement d’apprendre et de développer des compétences ? Existe-t-il des expériences en ligne probantes permettant d’identifier des conditions de succès pour l’apprentissage en ligne ?

Des réponses à ces questions sont bien entendues possibles. Et en première analyse, lorsqu’on sait que les pédagogies actives, qui garantissent rétention profonde des connaissances et pérennité des compétences, existent depuis les années trente, une ultime question se pose : doit-on parler de révolution pédagogique ou plutôt d’une exhumation urgente et nécessaire de méthodes « anciennes » mais intuitives dont le succès n’est plus à démontrer ? Dès lors, le numérique, qui dispose d’un pouvoir réticulaire inégalé jusqu’alors, peut-il en être l’instrument? Si tel était le cas, alors une révolution est peut-être envisageable : faire des nouvelles technologies le moyen de remettre au goût du jour les pédagogies actives pour le plus grand nombre.

Adopter le numérique ou s’y adapter ?

L’éclosion d’internet dans les années 90 s’accompagne de profondes mutations dont celles du travail et de l’emploi. Depuis les années 2010, les progrès de l’intelligence artificielle, de la robotique et de l’internet des objets les ont accélérées suscitant ainsi une obsolescence généralisée des compétences risquant d’agir mécaniquement sur l’employabilité. Certains affirment aujourd’hui, de manière souvent alarmiste et inutilement anxiogène, que 50% des emplois seront tenus par des robots d’ici 30 ans.

Par ailleurs, sous l’influence des réseaux sociaux et plus récemment de l’économie dite collaborative, le monde se fluidifie et s’horizontalise : un nombre considérable d’individus sont désormais connectés et reliés entre eux par le réseau dans un immense « bio-graphe » à géométrie variable. Cette dimension horizontale remet régulièrement en cause le modèle hiérarchique, à la fois vertical et descendant, et favorise la création d’activités au rayonnement international immédiat qui peuvent fragiliser voire détruire de nombreux emplois : des plateformes mondiales fournissent désormais des offres digitales 24/7.

Ainsi le digital nous révèle finalement que le monde n’a jamais été aussi impermanent et n’a jamais autant créé d’interdépendances. Or, impermanence et interdépendance sont les caractéristiques mêmes du vivant. Ce qui est permanent, c’est désormais le changement. Et c’est un truisme que de l’affirmer.

Comment, dans un tel contexte, soutenir, renforcer voire développer l’employabilité des managers comme des collaborateurs face à l’ampleur inégalées de ces mutations ? N’est-ce pas l’occasion de repenser la formation et plus largement le développement de compétences à l’ère du numérique généralisé ? Ne doit-on pas désormais s’acheminer  vers la conception d’expériences numériques d’apprentissage incomparables et continues (Life Long Learning), plus horizontales, communautaires, collaboratives, inspirantes et émancipantes ? En quoi cette métamorphose en cours impacte-t-elle la posture et les pratiques actuelles des concepteurs, des formateurs et des animateurs ? Comment les accompagner dans ce qui ressemble à la nécessité d’une réflexion concernant la transformation de leur identité professionnelle ? La formation professionnelle ne doit-elle pas adopter résolument le numérique plutôt que de s’y adapter sur un rythme incompatible avec celui de la société civile ? 

C’est à cet ensemble de question que sont aujourd’hui confrontées les entreprise qui affrontent le début de ce siècle et avec elles tous ceux qui, de près comme de loin, sont concernés sinon impliqués dans le domaine du développement des compétences intimement lié à celui de l’employabilité.

Comment se développent nos compétences ?

Ceux qui s’intéressent au développement de compétences ont forcément croisé au moins une fois dans leur vie le fameux modèle 70/20/10. Que signifie-t-il concrètement ?

Dans 70% des cas les compétences que nous détenons sont le résultat direct de notre activité professionnelle individuelle et collective : nos pratiques sont donc la première source de notre apprentissage. Il résulte de l’expérience que nous retirons de chacun des évènements qui marquent notre vie au travail et qui se caractérisent par l’ensemble des solutions que nous tentons de trouver face aux problèmes et aux questions qui se posent à nous. Et dans la plupart des cas nous les trouvons en interagissant avec les ressources en présence dans notre milieu professionnel : des outils et d’autres personnes. Ce processus constitue une forme d’apprentissage dite « informelle et intentionnelle ».

Dans 20% des cas les compétences qui sont les nôtres proviennent de simples interactions sociales, sans finalités explicites, elles aussi majoritairement informelles mais néanmoins fortuites. Et enfin, dans 10% des cas nos compétences proviennent directement de situations d’éducation et de formation dites « formelles et intentionnelles » c’est-à-dire académiques.

Si bien que nous pouvons simplifier ce modèle 70/20/10 en 90/10 : 90% de nos compétences résultent de situations informelles d’apprentissage et 10% de situations formelles d’enseignement académique, linéaire, programmé et le plus souvent vertical et descendant. Ce que résume parfaitement le schéma suivant :

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Or il y a un paradoxe dans le monde des entreprises : une part très importante des budgets de formation est attribuée à des situations formelles d’enseignement ou de formation qui ne représentent in fine que 10% de nos compétences. Le levier est faible, on peut aisément en convenir, même si ces 10% peuvent parfois constituer un socle nécessaire permettant d’apprendre à apprendre.

Par conséquent, on pourrait être tenté d’affirmer qu’il faudrait désormais attribuer davantage de deniers à des situations informelles d’apprentissage puisqu’elles génèrent 90% de nos compétences. Or ces situations sont justement celles que nous vivons quotidiennement au travail : elles vont et elles viennent, toujours semblables et pourtant différentes, naturelles et donc peu reproductibles sinon de manière artificielle. En toute apparence, on peut donc difficilement « formaliser l’informel » qui n’est jamais totalement prévisible ni calculable : notre vie professionnelle est faite d’impermanences et d’interdépendances. 

Comment sortir de ce qui semble être une impasse ? 

Dans notre vie professionnelle, le problème ou la question qui se pose à nous, et que nous tentons de résoudre, la plupart du temps à plusieurs, constitue le facteur déclenchant sinon la raison d’être de la mobilisation et du développement de nos compétences. Le problème ou la question à résoudre fonctionne donc comme un activateur et un générateur de compétences. Un processus qui nous permet donc d’apprendre et, souvent, de le faire ensemble. Quel élément pourrait jouer le rôle du problème à résoudre ou de la question à traiter lorsque l’on se trouve dans une situation purement formelle d’apprentissage ? 

Mais qu’est-ce qu’apprendre au juste ? Et une fois la réponse à cette question obtenue, saurait-elle nous inspirer pour tenter l’impossible : imaginer les modalités d’un dispositif formel qui permettrait de reproduire les conditions de l’apprentissage informel.

Qu’est-ce qu’apprendre ?

« Tu me dis, j’oublie. Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends »
Benjamin Franklin

Quand on évoque les ressorts de l’apprentissage, il faut bien admettre que la passivité, celle que convoque souvent le modèle académique, n’offre pas toujours les garanties d’un succès. Kurt Lewin semble l’avoir bien compris avec sa pyramide de rétention : 

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Cette pyramide nous montre que plus on est impliqué dans notre propre processus d’apprentissage, plus on est actif, réactif et interactif et plus on a de chance d’apprendre et de retenir ce que nous avons appris. Elle indique de même que c’est surtout le sachant qui apprend lorsqu’il enseigne mais pas forcément les apprenants eux-mêmes…Cette pyramide formule ainsi une critique implicite du modèle purement instructionniste ou le « sachant » tient une place prépondérante.

Les neurosciences indiquent par ailleurs, en renforcement de Kurt Lewin, que l’apprentissage est possible lorsque sont respectées trois conditions majeures :

  • exploration,
  • action, réaction, interaction,
  • gratification.

Les neuroscientifiques ajoutent que les émotions constituent un facteur essentiel favorisant l’ancrage mémoriel et donc l’apprentissage.

Cette vision d’une pédagogie active ne constitue toutefois par une révolution récente. Nous l’affirmions déjà en introduction. C’est en effet Célestin Freinet qui en est à l’origine et cela…dès le début de notre siècle !  Sa conception de la pédagogie repose sur cinq piliers : 

  • le tâtonnement expérimental,
  • l’expression libre,
  • la coopération,
  • la participation démocratique,
  • les techniques pédagogiques.

Cette conception présente l’apprentissage comme un processus où l’apprenant se situe au centre d’expériences exploratoires, coopératives et collaboratives lui permettant de trouver ce qu’il ne cherchait pas ou plus que ce qu’il cherchait à travers un ensemble d’actions, de réactions et d’interactions avec les ressources que lui offre son milieu (ses pairs et les outils mis à sa disposition).

Philippe Carré a récemment baptisé  ce processus d’un néologisme : « l’apprenance ». Il en donne la définition suivante : « l’apprenance est un ensemble stable de dispositions affectives, cognitives et conatives, favorables à l’acte d’apprendre, dans toutes les situations formelles ou informelles, de façon expériencielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite ».

Grâce à ces trois cliniciens et théoriciens de la pédagogie, on peut donc dire que les méthodes de pédagogie active ne constitue pas une révolution tant elles ont été conçues au début de notre siècle puis enrichies jusqu’à nos jours notamment à partir des neurosciences qui en constituent la caution scientifique. Le « digital learning » pourrait d’ailleurs aisément les remettre en piste en offrant une vaste scène numérique interactive aux apprenants géographiquement éloignés les uns des autres. Pourtant une analyse de l’offre en ligne montre qu’elle est le plus souvent instructionniste c’est-à-dire verticale et descendante et qu’elle passe ainsi à côté de la puissance ryzomatique, horizontale et collaborative qu’offre le réseau.

Apprendre ne relèverait donc qu’en faible partie de l’enseignement (qui ne bénéficie qu’à l’enseignant lui-même selon Kurt Lewin), ni, par extension, de la formation, de l’éducation ou de l’instruction. Apprendre relèverait davantage d’un processus erratique centré sur l’apprenant, convoquant à la fois du plaisir et des émotions et satisfaisant trois besoins fondamentaux : 

  • le sentiment d’autodétermination,
  • le sentiment d’appartenance sociale,
  • le sentiment d’efficacité personnelle.

Ce sont ces conditions qui permettent à l’apprenant d’apprendre et de développer ainsi des compétences.

Quelques convictions pédagogiques 

Les méthodes de pédagogie active visent à mettre les apprenants en « action » afin qu’ils mobilisent et développent des compétences, seul et en interaction avec d’autres ainsi qu’avec des outils à disposition dans leur milieu.

C’est à partir de cette représentation que tout formateur et tout concepteur devrait désormais élaborer des scénarii pédagogiques formels, qu’ils soient présenciels ou distanciels, permettant de faire émerger puis de développer les compétences des apprenants à la manière d’un maïeuticien. Dans cette perspective, la formulation de consignes d’activité comme leur agencement dans un scénario à la fois stimulant et motivant, composé de multiples ressources suscitant actions, réactions et interactions, devient une compétence majeure pour les pédagogues eux-mêmes. 

De ce point de vue, on pourrait dire que la consigne d’activité est à la pédagogie formelle ce que le problème à résoudre est aux situations informelles d’apprentissage qu’offre le travail : un activateur comme un générateur de compétences. On peut même ajouter que l’animation d’une communauté d’apprenants est à la pédagogie ce que le soufflet est à la cheminée : elle permet de stimuler et d’entretenir le feu interactif et ainsi l’apprentissage communautaire ryzomatique. Et si d’aventure le dispositif est suffisamment ouvert et souple pour offrir de multiples choix de parcours aux apprenants, nous sommes en mesure d’affirmer qu’il est tout à fait possible d’imaginer les modalités d’un dispositif formel qui permettrait de reproduire les conditions de l’apprentissage informel.

Un tel dispositif devra toutefois se composer de trois caractéristiques majeures :

  • un storytelling (une histoire scénarisée) engageant, utile et gratifiant suscitant plaisir et émotion,
  • une animation assurant la dynamique d’apprentissage individuelle et collective,
  • une ouverture favorisant l’autonomie et l’autodétermination des apprenants.

Un storytelling engageant fait référence à la ludification de l’expérience de l’apprenant à travers la « biodiversité » d’activités à la fois inspirantes, motivantes et émancipantes faites d’explorations, d’actions, de réactions et d’interactions. Son utilité résulte d’un sentiment d’efficacité personnelle et de développement incrémental de compétences (j’apprends un peu tout le temps, je reprends régulièrement des concepts dans des contextes différents). Son caractère gratifiant se traduit par des défis réalistes et réalisables donnant lieu, après évaluation, à l’obtention de signes de reconnaissance positifs qu’ils soient réels (un badge, un certificat, un diplôme) et/ou symboliques (évaluations positives en provenance des pairs et de l’équipe pédagogique).

Bref, en référence au modèle 90/10, l’enjeu consiste à faire de l’apprentissage formel (10%) une opportunité de mobilisation et d’enrichissement des compétences issues de l’apprentissage informel (90%) afin de les recycler en permanence dans des scénarii diversifiés et engageants. Dans cette perspective, cette représentation méthodologique, qui n’a rien de révolutionnaire ni d’innovant, devrait conduire l’entreprise, et plus largement toute institution ou organisation, à devenir plus apprenante, autonomisante et responsabilisante proposant d’incomparables environnements personnels d’apprentissage comme l’existence en offre en permanence.

Les avantages de l’apprentissage collaboratif en ligne

Puisque la transformation civilisationnelle majeure qu’implique l’adoption généralisée et irrévocable du numérique dans toutes les activités humaines est à l’œuvre, elle concerne au premier chef, nous le répétons, ceux dont le métier est au service du développement de compétences à l’orée du 21éme siècle. Dès lors, ne serait-ce pas utile de circonscrire, de manière spécifique, les avantages possibles de l’apprentissage collaboratif en ligne qui pourrait devenir à terme partie prenante du « digital learning »? Marc Walckiers et Thomas De Praetere ont identifié huit avantages majeurs de l’apprentissage collaboratif en ligne :

1. la flexibilité d’organisation temporelle et l’autonomie,

2. le délai de réflexion (asynchronie) et l’esprit critique,

3. la formulation textuelle plus exigeante et plus formative que la formulation orale,

4. le message écrit qui privilégie le contenu et équilibre les relations entre apprenants,

5. la convivialité, la « mutualisation », le pluralisme, le multiculturalisme et l’esprit de synthèse,

6. l’effet d’émulation, d’entraînement et d’entraide,

7. la permanence des contributions qui stimule leur production et permet leur « mutualisation » et leur évaluation,

8. la capacité décuplée de supervision des tuteurs.

La flexibilité d’organisation temporelle et l’autonomie

Grâce à une connexion permanente « 24/7 », la flexibilité de gestion de son temps donne à tout apprenant une autonomie lui permettant de s’auto-organiser, de revenir au début de l’exposé d’une activité ou d’un concept, de retourner aux échanges effectués dans les forums ou aux notions étudiées antérieurement, de s’interroger, de recombiner ses connaissances, d’expérimenter ses compétences acquises dans ses activités « on the job », de les confronter à celles acquises et exprimées par ses pairs, de comparer ses progrès ou difficultés à ceux de ses pairs, de trouver par lui-même des informations ou explications complémentaires sur le web, de reconfigurer ses représentations en les confrontant régulièrement avec celles des autres, etc.

La flexibilité de l’apprentissage collaboratif en ligne est donc un processus qui favorise l’autodétermination et qui permet à chaque apprenant non seulement de choisir ses activités d’apprentissage (comme une abeille « choisit » les fleurs à butiner dans le champ que la nature lui offre généreusement), mais elle l’amène aussi à gérer son temps et l’organisation qui en découle de manière autonome.

Le délai de réflexion et l’esprit critique

Dans l’enseignement présentiel, synchrone par nature, l’écoute d’un orateur, quand bien même très attentive, convoque une certaine passivité qui ne permet pas toujours une réflexion approfondie. Le cheminement intellectuel qui suit s’estompe par ailleurs rapidement dans l’esprit de l’apprenant et implique une rétention limitée.

En revanche, dans l’apprentissage collaboratif en ligne asynchrone, l’autonomie d’action et d’apprentissage ainsi que la possibilité de réflexion accrue favorisent une assimilation plus progressive (selon le rythme de chacun), une meilleure compréhension, une rétention durable ainsi que le développement d’un esprit plus critique portant sur les contenus, les échanges comme sur les travaux effectués. Il assure une plus grande pérennité des compétences développées.

La formulation textuelle plus exigeante que la formulation orale

A travers ses multiples avantages pratiques (flexibilité de temps et d’espace) et pédagogiques (autonomie d’action, délai de réflexion, échanges entre pairs,…), la communication textuelle asynchrone, que permet notamment le forum animé, s’impose naturellement dans l’apprentissage collaboratif en ligne. Cela est particulièrement vrai pour la formulation et l’échange de point de vue ou d’idées, pour leur articulation, leur structuration et leur complexification au fil du temps surtout lorsque les apprenants sont nombreux et géographiquement dispersés.

Comparé à l’apprentissage collaboratif présentiel, l’apprentissage collaboratif en ligne en mode textuel asynchrone est donc pédagogiquement plus exigeant et par conséquent offre plus d’opportunité de développement de compétences.

Le message écrit privilégiant le contenu et l’équilibre des relations entre apprenants

Dans l’apprentissage collaboratif présentiel, les indices sociaux et physiques de l’intervenant captivent l’attention, parfois au point d’éclipser le contenu du message. Le processus est tout autre dans l’apprentissage collaboratif en ligne.

Loin d’appauvrir le dispositif pédagogique, l’absence d’indices physiques et sociaux dans les contributions textuelles en ligne valorise leurs contenus et renforce leur impact pédagogique sur tout ou partie des membres de la communauté apprenante.

Pratiqué dans de bonnes conditions, l’apprentissage collaboratif en ligne est même plus captivant et fructueux que l’équivalent présentiel. Inversement, le mode présentiel ne garantit pas toujours l’esprit de collaboration des apprenants et peut même susciter des rivalités entre eux. On constate que dans l’apprentissage collaboratif en ligne, les apprenants coopèrent d’autant mieux qu’ils sont géographiquement dispersés.

L’absence d’indices physiques et sociaux des auteurs de contributions textuelles dans les apprentissages collaboratifs en ligne a donc deux effets pédagogiques majeurs :

  • un impact accru du contenu des contributions de chaque apprenant sur chaque apprenant, ce qui enrichit l’apprentissage et renforce la synergie ;
  • une participation plus équitable des apprenants à l’apprentissage collaboratif en ligne, l’absence de tels indices limitant les discriminations au profit du contenu.

La convivialité, la « mutualisation », le pluralisme, le multiculturalisme et l’esprit de synthèse

Beaucoup d’adultes sont aujourd’hui surpris par l’extraordinaire convivialité avec laquelle de nombreux jeunes ne s’étant jamais rencontrés dialoguent par courriel, par chat ou par l’intermédiaire d’applications installées sur leur smartphone.

Une convivialité similaire est suscitée dans beaucoup d’apprentissages collaboratifs en ligne : en début de formation, le formateur affiche dans l’espace virtuel réservé à son groupe la liste de ses membres, sa propre auto-présentation et un message invitant chaque apprenant à y afficher la sienne. Chacun y signale à sa façon sa formation, son expérience, ses environnements géographique, professionnel, social et culturel, ainsi que les motivations et projets l’ayant incité à suivre le dispositif.

Les échanges spontanés qui s’ensuivent sont d’autant plus intenses et instructifs que les apprenants sont différents et isolés : l’apprentissage collaboratif en ligne permet en effet la collaboration d’apprenants de divers pays ou continents, ce qui permet des expériences multiculturelles très riches et motivantes.

La formulation textuelle des contributions permet leur mise en commun, la réutilisation d’un élément de la contribution de l’un par d’autres, la confrontation d’idées à première vue opposées, leur harmonisation et la réalisation collective de synthèses valorisant les connaissances et les expériences de chacun.

L’effet d’émulation, d’entraînement et d’entraide

La spontanéité des interactions en ligne au sein de petits groupes d’apprenants ayant une activité commune (8 maximum en pédagogie par projet) et animés de façon renforcée produit un sentiment de proximité et de solidarité entre apprenants ainsi qu’un esprit d’entraide et d’encouragement mutuel. Une familiarité se crée ainsi entre apprenants en ligne, malgré les différences d’âge, de culture, de formation initiale et de profession, malgré la distance ou grâce à celle-ci et aux différences entre apprenants. Le courant passe…

Rappelons que la synergie des apprentissages collaboratifs en ligne est d’autant plus vive que les apprenants sont géographiquement dispersés et différents et donc complémentaires (hétérogénéité) alors que des apprenants d’une même formation et d’un même site se considèrent souvent comme de futurs concurrents (homogénéité). Notons enfin que certains apprenants à distance sont si captivés par leur communauté virtuelle qu’ils en deviennent parfois dépendants.

La permanence des contributions stimule leur production et permet leur « mutualisation » et leur évaluation

La permanence des contributions dans l’apprentissage collaboratif en ligne est un avantage important. En voyant s’accumuler de jour en jour les contributions de ses pairs, l’apprenant en ligne est de plus en plus incité à produire la sienne : d’abord par émulation, ensuite parce que l’ensemble des contributions sera conservé et évalué (au moins par ses pairs, mais sans doute aussi par l’équipe pédagogique).

Chaque apprenant peut être invité à réutiliser ses propres contributions aux apprentissages collaboratifs en ligne dans ses travaux individuels évalués et cotés par son tuteur ou ses pairs. Il peut aussi les réutiliser dans des réseaux sociaux. Cette invitation incitante motive grandement les apprenants et évite au tuteur la difficile évaluation des contributions individuelles dans les apprentissages collaboratifs.

Savoir qu’on sera lu est un incitant efficace et lire les travaux de ses pairs constitue pour chacun une découverte instructive ainsi qu’un bon exercice critique. En revanche, dans l’apprentissage collaboratif présentiel, seuls les plus confiants se risquent à parler, la majorité préférant s’abstenir.

La capacité décuplée de supervision des tuteurs 

Dernier avantage, fort apprécié des organisateurs de formations en ligne : les formateurs, tuteurs ou animateurs d’apprentissage collaboratif ont la possibilité de superviser en ligne un nombre beaucoup plus important de petits groupes, supervision qu’ils ne pourraient pas effectuée en étant physiquement présents.

L’économie de temps et de déplacements résultant de cette flexibilité, outre le fait qu’elle est résolument écologique, permet aux formateurs de décupler leur capacité d’animation et de supervision des apprentissages collaboratifs en ligne par rapport aux mêmes fonctions en mode présentiel.

Vers des expérience d’apprentissage incomparables

En définitive, il serait sans doute beaucoup plus juste de présenter le numérique appliqué à l’éducation et à la formation comme l’instrument potentiel d’une exhumation nécessaire – ou pourrait-on dire de manière un peu moins provocatrice d’une réactualisation les remettant au goût du jour -  des pédagogies dites actives dont on connaît le succès historique plutôt que de lui faire porter, à partir d’un discours marketing et commercial souvent habité de mercantilisme, la promesse d’une révolution qui n’en est pas.

L’apprentissage collaboratif en ligne nécessite une conception centrée sur l’apprenant (learner centric), les activités (learning by doing) et les interactions (collaborative learning) ainsi qu’une animation communautaire sensible et adroite favorisant l’adoption d’environnements personnel d’apprentissage, stimulant la motivation à travers des scénarii ludiques et engageants, organisant et coordonnant la participation des apprenants et valorisant leurs contributions. Cela nécessite un véritable engagement autant qu’une générosité sans faille de la part des pédagogues.

Lorsque l’apprentissage collaboratif en ligne est mis en œuvre méthodiquement par un ou plusieurs intervenants conscients de l’ensemble de ses rouages et de ses bénéfices, il améliore à tel point les performances comme le ressenti de la plupart des apprenants qu’on peut le qualifier d’expérience incomparable voire inoubliable. Concevoir et animer de telles expériences à l’ère du numérique, troisième transformation civilisationnelle majeure après l’écriture et l’imprimerie, telle devrait être l’ambition première des acteurs du développement des compétences au XXIème siècle.

Thierry Curiale

  

 

 

        

Références

  1.  La notion de digital learning désigne la présence du numérique dans les dispositifs de formation, que ces derniers soient présentiels (en salle) ou distanciels (en ligne). Le digital learning est directement lié à l’omniprésence des nouvelles technologies dans la société, aussi bien dans la vie personnelle que dans la vie professionnelle. Il a aujourd’hui tendance à se substituer au « e-learning ». 
  2.  Les EdTech (Technologie appliquée à l’Education) consistent à faciliter l'apprentissage et l'amélioration de la performance en créant, en utilisant et en gérant des processus et des ressources technologiques appropriées. La technologie éducative et formative tentent d’articuler, sans toujours y parvenir, l’usage du numérique (hardware et software) et les théories issues des sciences cognitives et de l’éducation.
  3.  L’instructionnisme se traduit notamment par une absence de collaboration véritable entre les apprenants. Il relève de la logique « one to many » s’exprimant aussi dans le registre digital notamment avec des applications qui convoquent la « solitude du e-learner » dépourvu de tout lien avec d’autres. Quelques exceptions existent qui confirment toutefois cette règle.
  4.  C’est notamment le cas pour les principales plateformes de MOOC (Massive Open Online Course) d’inspiration universitaire (Coursera, EdX, Udemy, Udacity, FUN, Iversity…) à l’exception de Novoed et parfois de FuturLearn. Cette passivité se traduit souvent par le sentiment d’une certaine solitude, celle du e-learner, alors que dans un amphithéâtre ou dans une salle de classe, même si le pédagogue respire l’académisme, des liens sociaux « apprenants » se tissent entre les étudiants. Ce qui n’est pas possible lorsqu’on se retrouve seul devant un écran d’ordinateur, de tablette ou de smartphone. 
  5. Cf Pratiques sociales en formation à distance : entre solitude et abandon, Clément Dussarps et Didier Paquelin, Laboratoire MICA, 2014
  6. Cf le teaser de présentation de l’entreprise Openclassroom (https://www.youtube.com/watch?v=i7sHC28jQxw)
  7. Cf Les teravaux de Célestin Freinet, père des pédagogies actives.
  8.  « …le cours magistral, où l’enfant reste passif, est moins efficace que les pédagogies dites « actives », où l’enfant intervient, questionne, agir, essaie…quitte à se tromper. Il y a urgence à décomplexer l’erreur et à développer le plaisir et la dimension ludique de l’école. » Stanislas Dehaene in Sciences Humaines, Octobre 2017, page 31.
  9.  S’adapter à une norme n’est pas adopter une norme : dans le premier cas, la norme est posée indépendamment de celui qui s’adapte. Dans le second, la norme n’existe que si elle est adoptée. Tout ingénieur, tout artiste, tout penseur sait qu’on n’innove pas, qu’on ne crée pas, qu’on ne pense pas en s’adaptant, mais en adoptant de nouvelles normes d’usage et de fonctionnement c’est-à-dire en se les appropriant, en les faisant siennes.
  10.  Hitech.fr, 16 février 2016.
  11.  La théorie des graphes est la discipline mathématique et informatique qui étudie les graphes, modèles abstraits de dessins de réseaux reliant des objets. Ces modèles sont constitués par la donnée de « points », appelés nœuds ou sommets et de « liens » entre ces points. Le préfixe bio se réfère à la vie et, en guise d’objets, nous voulons parler ici de sujets vivants reliés entre eux par la toile et formant ainsi un immense graphe à géométrie variable.
  12.  Une compétence est un ensemble de savoirs activés et mobilisés pour effectuer une action générant un résultat dans une situation et dans un contexte donnés (CARRE (P) et CASPAR (P), Traité des sciences et techniques de la formation Paris, Dunod, 1999). On distingue les savoirs théoriques (savoir comprendre, savoir interpréter), les savoirs procéduraux (savoir comment procéder), les savoir-faire procéduraux (savoir procéder, savoir opérer), les savoir-faire expérientiels (savoir y faire, savoir se conduire), les savoir-faire sociaux (savoir se comporter, savoir se conduire), les savoir-faire cognitifs (savoir traiter de l'information, savoir raisonner, savoir nommer ce que l'on fait, savoir apprendre). Confer LE BOTERF (G), 1995, De la compétence, essai sur un attracteur étrange, Paris, Editions d'organisations ; LE BOTERF (G), 1997, Compétence et navigation professionnelle, Paris, Editions d'organisation ; LE BOTERF (G), 2000, construire les compétences individuelles et collectives, Paris, Editions
  13.  Cofer, David A., Jr. Informal Learning in the Workplace: A Brief Review of Practice and Application, 2000.
  14.  Kurt Lewin (1890-1947) est un psychologue américain d'origine allemande spécialisé dans la psychologie sociale et le comportementalisme. On lui doit notamment le concept de « dynamique de groupe », concept majeur de la « psychologie industrielle » qui devait devenir plus tard la psychologie du travail.
  15.  National Training Laboratories, Bethel, Maine
  16.  « Neurolearning, les neurosciences au service de la formation », Eyrolles, Paris, 2017, page 141.
  17.  Les vrais « parents » de ce néologisme sont, comme le souligne P. Carré lui-même, H. Bouchet et H. Trocmé- Fabre.
  18.  La conation (du latin conatus, -us : « effort, élan ; essai, entreprise ») est un effort, une tendance, une volonté, une impulsion dirigée vers un passage à l'action.
  19.  «L’apprenance : rapport au savoir et société cognitive », 2000, Université Paris X, Paris.
  20.  La théorie du Rhizome — développée par Gilles Deleuze et Félix Guattari — est l'un des éléments de la « French Theory ». Il s'agit d'une structure évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, et dénuée de niveaux. Elle vise notamment à s'opposer à la hiérarchie en pyramide.
  21.  Nous suivons à ce jour le Mooc « The science of Happiness » sur la plateforme Edx. Nous éprouvons beaucoup de difficultés à progresser tant la scénarisation pédagogique est absente. Nous sommes en effet confrontés à la solitude du e-learner privé de toute action, réaction, interaction que pourraient susciter une série de consignes d’activité (à l’exception des forums thématiques toutefois peu interactifs). Au contraire nous sommes condamnés à une terrible passivité face à un contenu de grande qualité qui constitue malgré tout un facteur nécessaire mais non suffisant de motivation. 
  22.  Celui qui me donne le sentiment d’être à l’origine de mon propre comportement, celui qui exprime mon autonomie.
  23.  Christophe Jeunesse, Maitre de conférences à l'université Paris Ouest Nanterre la Défense, interviewé par Thierry Curiale, juillet 2017, Paris.
  24.  On entend par animation l’accompagnement individuel (Tutorat, mentorat) et collectif (community management). 
  25.  L'activité proposée doit être suffisamment complexe pour que l'apprenant soit tenu de faire un effort mais pas insurmontable, car cela le découragerait à coup sûr et générerait un sentiment d'inefficacité. Elle doit laisser suffisamment de marge de manœuvre à chaque apprenant pour qu'il puisse faire des choix en toute liberté. Elle doit toujours être suivie d'une phase de d’évaluation pour faire le point sur ce qui a été appris.
  26.  « L’existence – le fait pour l’homme d’ex-sistere : d’être projeté hors de soi, de se constituer au-dehors et à venir – est ce qui constitue celui qui existe dans et par la relation qu’il entretient à ses objets non pas en tant qu’il en a besoin, mais en tant qu’il les désire. Ce désir est celui d’une singularité – et toute existence est singulière. » Vocabulaire d’Ars Industrialis, Victor Petit,  in « Pharmacologie du front national », Bernard Stiegler, Flammarion, Paris, 2013, page 432. 
  27.  Les avantages décrits ici-même reprennent en grande partie le contenu de l’article suivant : « L'APPRENTISSAGE COLLABORATIF EN LIGNE, HUIT AVANTAGES QUI EN FONT UN MUST », Marc Walckiers et Thomas De Praetere, Lavoisier | Distances et savoirs, 2004/1 - Vol. 2, pages 53 à 75
  28.  Confer les travaux de Kurt Lewin et sa pyramide de rétention et plus largement ceux du National Training Laboratories, Bethel, Maine.

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