De la RSE à la raison d’être, le défi des DRH

Par Marc Deluzet, Délégué général de l'OSI

Ces vingt dernières années, la RSE s’est imposée comme un axe incontournable des politiques RH. Mais, sous l’effet d’une double évolution stratégique, transformation des modèles d’affaires et remise en cause d’un modèle de capitalisme centré sur la performance financière, les questions relatives à la RSE changent de nature. Les dirigeants leur accordent une place désormais stratégique. Reste à passer du discours aux actes : les Directions Des Ressources Humaines sont au cœur de ce défi.

Transformations des modèles d’affaires des entreprises

De nombreuses entreprises internationales ont engagé ces dernières années des transformations profondes de leur modèle d’affaires. La nature incommensurable des investissements à réaliser dans les réseaux de télécommunication limite la croissance des entreprises du secteur et Orange a repensé sa stratégie pour se développer dans des secteurs connexes, banque et cybersécurité. La « décarbonation » de l’économie a poussé ENGIE à orienter sa stratégie vers les énergies renouvelables et les services d’efficacité énergétique. Les mutuelles réunies au sein du groupe VYV repensent totalement leur stratégie pour offrir des services complémentaires à leur cœur de métier assurantiel comme le logement ou la formation. A chaque fois, l’impulsion ne vient pas des directions chargées du développement durable ou de la RSE, mais des enjeux « business » et directement des dirigeants, avec leur direction de la stratégie comme principal levier.

Parallèlement, feux de forêts et inondations, ruptures de stocks de médicaments, pillage des données personnelles, menace de récession mondiale, crises démocratiques et montée des populismes, accréditent l’idée que le capitalisme est malade, quand bien même l’extension de la sphère marchande progresse toujours. Intégrer des objectifs sociaux et environnementaux n’est pas seulement une idée émise par des militants altermondialistes radicaux, elle émerge aussi des milieux d’affaires à l’échelle mondiale et d’un nombre croissant de dirigeants d’entreprise qui choisissent de se mobiliser à travers plusieurs initiatives internationales.

Nouveau capitalisme et nouvelles formes entrepreneuriales 

Aux Etats-Unis, face aux débats de la primaire démocrate pour la présidentielle de 2020, la Business Roundtable, qui réunit près de 200 PDG des plus grandes sociétés américaines (JP Morgan, Amazon, Appel, Dow, Coca-cola, Exxon, Boeing, …), a publié l’été dernier une déclaration1 qui redéfinit les missions de l’entreprise en soulignant leur engagement personnel. « Chacune de nos parties prenantes est décisive » assurent-ils dans ce texte qui rompt avec la suprématie de l’actionnaire dans le partage de la valeur. 

En amont du G7, l’initiative Business for Inclusive Growth2 (B4IG) a publié un engagement3 contre les inégalités et pour des modèles de croissance plus inclusifs. Un incubateur de modèles d’affaires a déjà répertorié 50 projets innovants qui concernent 100 millions de personnes ; un forum de financement a réuni des investissements qui atteignent le milliard d’euros. Une troisième initiative plus ancienne et associant la société civile, The B Team4 (par opposition au plan A, dans lequel les affaires sont principalement motivées par le profit) vise à développer une nouvelle façon d’entreprendre pour le bien-être de l’homme et de la planète.

Les années 2010 ont vu émerger aux Etats Unis un mouvement destiné à trouver un cadre juridique pour des entreprises lucratives désireuses d’assurer des missions d’intérêt général sans risquer d’être attaquées pour non-respect de leurs devoirs fiduciaires, lesquels imposent de maximiser la création de valeur pour l’actionnaire. Divers procès ont conduit à de nouvelles formes juridiques liées au concept d’entreprise lucrative à impact social ou « profit-with-purpose business » et à des statuts comme celui des benefit corporations qui s’étend à l’échelle mondiale à travers le label B-corp. En France, les dispositions de la loi PACTE proposent d’inscrire les objectifs sociaux et environnementaux de l’entreprise, sa raison d’être, dans son objet social et définissent un statut d’« entreprise à mission ».

Les dénominations diffèrent mais toutes ces initiatives ont en commun la volonté d’affirmer d’autres finalités à côté de la recherche du profit. L’ambition dépasse le cadre jusqu’ici occupé par la RSE : au-delà d’une vigilance accrue concernant l’impact de l’entreprise sur son environnement physique et sociétal, l’objectif porte sur l’évolution des modèles d’affaires et leur orientation vers les besoins sociétaux les plus urgents (jeunes, emploi, pauvreté, discriminations) : il en va de leur pérennité et de leur capacité à créer de la valeur.

Passer aux actes : un double défi pour les DRH

Si les stratégies des entreprises et l’engagement des dirigeants d’entreprise manifestent une rupture, reste à traduire les discours en actes, à passer de l’être au faire. Cette nécessité constitue pour la fonction Ressources Humaines autant une opportunité stratégique qu’un impératif de renouvellement.

D’une part, si le social fait partie du business, les attentes envers la filière RH portent désormais sur sa contribution à la conquête de nouveaux marchés, à travers l’innovation sociale, le recrutement des talents liés aux nouvelles activités, l’engagement des managers et des collaborateurs vis-à-vis de nouvelles attentes sociétales. Avoir dans ses effectifs plus de 10% d’alternants comme ENGIE s’y est engagé et en embaucher la moitié requièrent de nouveaux modes de formation, de management et d’organisation du travail. Introduire dans les offres commerciales des pratiques internes d’excellence sociale en matière de lutte contre les discriminations, de montée en compétences et de qualité de vie au travail exige que les responsables RH deviennent des « business leaders », plus seulement des « business partners ». 

D’autre part, le recentrage de la mission de l’entreprise sur les enjeux collectifs d’intérêt général au sens large suppose de reformuler un projet social susceptible de projeter l’ensemble du corps social, collaborateurs et management, vers les attentes externes, celles des clients, des territoires et des parties prenantes. Or, embarquer l’ensemble des collaborateurs dans une telle bascule exige davantage qu’une cascade d’objectifs descendants le long de la ligne hiérarchique : des processus horizontaux d’intelligence collective permettant à chacun d’eux d’acculturer la nouvelle perspective dans ses tâches quotidiennes sont indispensables. Dans cet esprit, les communautés de pratique professionnelles sont des outils très puissants pour opérer les changements nécessaires et redonner à l’acte de travail sa puissance créatrice.

Pour répondre à ces deux défis, les directions RH sont appelées à réinventer la gouvernance des femmes et des hommes dans l’entreprise, à travers de nouveaux modes d’évaluation, de rémunération et de reconnaissance, pour favoriser l’engagement professionnel et la collaboration avec les acteurs externes. A rebours des politiques d’individualisation forcenées, il s’agit de réinventer les pratiques managériales et les formes du dialogue social. Bien davantage que de faire grossir un silo RSE parmi d’autres, les Ressources Humaines ont à repenser l’ensemble de leurs outils et processus à l’aune de cet objectif stratégique : donner corps et sens à une nouvelle culture d’entreprise commune, dirigée autant vers l’interne que l’extérieur de l’entreprise.

  1. Sur le site internet de la BRT https ://opportunity.businessroundtable.org/ourcommitment/  
  2. Présidée par le PDG de Danone et soutenue par l’OCDE, l’initiative (B4IG), réunit 34 entreprises internationales qui pèsent 900 milliards de chiffre d’affaires et emploient 3,5 millions de personnes. https ://www.oecd.org/inclusive-growth/businessforinclusivegrowth  
  3. https ://www.oecd.org/inclusive-growth/businessforinclusivegrowth/Business-Pledge-against-Inequalities.pdf
  4. The B team, http ://www.bteam.org

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