Non à la gadgetisation de la fonction RH

En matière de mode informatique RH, un clou chasse l’autre, et nous n’avons pas fini d’installer la version 2.0 que l’on nous promet non plus le 3.0 mais le 4.0 et bientôt le 5.0… La mode du moment, l’avenir salvateur de la fonction, le nec plus ultra qui envahira nos « time line » à la rentrée (si l’on est un lecteur assidu des posts RH sur les réseaux sociaux), risque de ne plus être le BIG DATA mais le BOT. L’avenir est dans le BOT.  

Bien… pourquoi pas… l’an prochain on aura certainement quelque chose d’autre … mais en attendant nous avons le droit a une déferlante de projet de BOT qui vont venir frapper à la porte de nos DRH et leur proposer leurs services pour moult tâches telles que le recrutement, les renseignements administratifs ou même le calcul de l’engagement…. Ces applications me paraissant répondre bien souvent à la définition du gadget, rigoureusement inutile donc particulièrement indispensable … 

Quand l’abus de technologie abime les relations et interactions sociales …

Mais au fait c’est quoi un BOT ? Les hasards de la langue française me laissent à penser que les deux sens de ce terme peuvent s’appliquer …

  • Le premier sens du terme BOT était celui ci : Difforme, affecté par une contraction ou une lésion permanente des muscles qui altère le bon fonctionnement du membre, en parlant d'un pied ou d'une main.
  • Le second sens est celui ci : Programme informatique automatisé ayant pour but de simuler le comportement d'une personne humaine ou d'effectuer des tâches répétitives. Le (ro)BOT.

De manière abusive l’on nous parle de BOT avec quelques sous-entendus d’intelligence artificielle ou de système expert alors que bien souvent il s’agit d’arbres de décision ou l’on vous pose quelques questions. En fonction des réponses apportées à celles-ci d’autres questions vous sont posées pour en arriver à vous mettre dans une petite case ou, c’est selon, vous apporter une réponse plus ou moins contextualisée (il s’agit ici de l’exemple type des BOTs servant à renseigner les collaborateurs, les clients ou à vous orienter vers un conseiller – imaginez ici la petite musique d’attente) ou à affecter à votre parcours une valeur (exemple type des BOTs servant à calculer l’engagement, mesurer le climat social ou à vous sélectionner dans une opération de recrutement …). 

Bien sur, lorsque vous lisez un article sur les BOTs (prononcer BOTTE) c’est de ces petits programmes que l’on parler, alors pourquoi avancer que les deux sens peuvent être imbriqués ?

Ces BOTs sont la pour se substituer aux interactions de premier niveau entre la DRH et les collaborateurs ou les candidats. La relation, cadrée et cadenassée s’en trouve particulièrement appauvrie. Elle (la relation) est difforme, affectée d’une lésion permanente qui altère le bon fonctionnement de l’organisation. Certains rétorqueront : « oui mais cela dégage du temps pour mieux répondre aux problèmes plus importants… » certes, mais que penser d’une fonction RH dont les seules interactions reposeraient sur l’existence de problèmes graves, qui ne serait en contact avec les collaborateurs qu’aux moments les plus difficiles … La confiance ne se décrète pas, elle se construit, lentement, grâce à un processus de connaissance et de respect mutuel… 

Un « BOT » ca va, trois, bonjour les dégats…

Histoire de prendre un peu de recul, regardons de manière purement critique les trois types de BOT précédemment cités.

Concernant les BOTs d’information …

Régulièrement des études paraissent et mettent en avance le fossé qui existe et qui se creuse entre la fonction RH et les collaborateurs, entre les recruteurs et les candidats. Pensez vous réellement que ce type d’outils, certes intéressants pour « industrialiser » nos processus, soit de nature à améliorer la situation ? Personnellement j’en doute, même si ce sont les BOTs les plus intéressant pour le moment...

Concernant les BOTs de recrutement …

Concernant l’utilisation des BOTs en matière de recrutement, ceci me paraît encore plus discutable et ceci pour deux principales raisons : 

en 2002, la Commission Nationale Informatique et Liberté indiquait déjà dans le cadre d’une délibération que :

  • En application du deuxième alinéa de l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978, aucune décision de sélection de candidature impliquant une appréciation sur un comportement humain ne peut avoir pour seul fondement un traitement informatisé donnant une définition du profil ou de la personnalité du candidat. Dès lors, une candidature ne saurait être exclue sur le seul fondement de méthodes et techniques automatisées d’aide au recrutement et doit faire l’objet d’une appréciation humaine. La Commission recommande à ce titre que les outils d’évaluation automatisés à distance excluant toute appréciation humaine sur la candidature soient proscrits. Dont le BOT qui vous place dans une petite case n’est pas sélectionné pose quelques problèmes. D’autant que …
  • En application de l’article 3 de la loi du 6 janvier 1978 tout candidat a le droit d’être informé des raisonnements utilisés dans les traitements automatisés d’aide à la sélection de candidatures.

Enfin, au delà du coté gadget, qui permet de répondre à un questionnaire en ligne sur son « smartphone », les candidats attendent autre chose de la relation avec un recruteur… Un vrai contact… IRL si possible. Si l’on écoutait un peu plus les attentes des candidats l’on se poserait alors la question de l’image réelle que cela renvoie de l’entreprise qui utilise ce type d’outil. Moderne, certes … Déshumanisée, certainement. Et l’on nous parlerait bien différemment de marque employeur, d’expérience candidat, etc … 

Concernant les BOTs relatifs au climat social et à l’engagement …

Je dois l’avouer c’est à cause de ceux la (ou du moins de la communication sur ceux la) que j’ai pris le clavier pour partager mes états d’âme … A quelques semaines d’intervalle, nous avons vu arriver sur le marché des micro-applications censées mesurer le niveau d’engagement des collaborateurs, quasiment en temps réel… avec un « BOT » interrogeant les collaborateurs afin de mesurer cet engagement.

Je n’épiloguerai pas sur le caractère flou de la définition de ce qu’est l’engagement ou de ce que ce n’est pas, mais il serait bon de s’interroger sur les dangers de telles :

  • pratiques d’observation permanente du personnel,
  • injonctions permanentes à l’engagement,
  • les distorsions entre le temps et la répétitivité des mesures et celui de l’installation du changement (ce qui génère invariablement frustrations et mécontentements),
  • etc…

Tout se passe comme si ces nouveaux outils, mâtinés « d’analytics » (renommé Big Data cela fait mieux) qui pour des raisons d’efficacité se focalisent sur un nombre très limité de points,  étaient la pour assurer aux accros de la performance et de l’engagement que nous sommes, notre dose de réconfort hebdomadaire (ou parfois quotidien) en nous délivrant des information parcellaires et nous coupant dans les faits du monde de l’entreprise (et de l’intelligence globale des situations). L’utilisation répétitive des BOTs est ici particulièrement délicate voire suicidaire à long terme. Un de mes amis DRH qui regardait la présentation d'un de ces outils me disant "Je prefere prendre le café avec les représentants du personnel, on n'a pas toujours le même regard, mais quand on discute on recontextualise tout au moins"...

Attention à ne pas tomber dans l'illusion informatique une nouvelle fois...

Face à ces trois situations, l’on constate que les questions sont nombreuses, que l’absence de réflexion et d’intégration plus globale dans le fonctionnement de la DRH et de son système d’information (dans le sens de la définition d'Alter) cantonne bien souvent ces applications à fonctionner comme des gadgets. Alors à quand la mise en place de BOTs collaborateurs ou candidats qui répondront alors aux BOTs RH ou Recruteurs ? (1) et (2), Plus on avance, plus je pense que nous devons nous replonger dans Isaac ASIMOV (3) ou Pierre BOULE (4) pour avoir un peu de recul et regarder d’un autre œil notre charte éthique de la fonction RH (5).

Faut-il pour autant jeter au feu ces applications ? Certaines oui, d’autres non. Elles devront faire preuve de leur réelle utilité. Cette utilité ne pourra toutefois pas apparaître si l’écosystème des start-up RH reste éclatée. C’est aussi pour cela qu’il faut suivre et encourager les initiatives telles que le « Lab RH », le FiabLab et d’autres … Il nous faut lutter contre le risque de gadgétisation…

 Merci enfin à Frédéric LAURENT, pour ses échanges sur le sujet du recrutement et des technologies ... 

  

 

 

        

 
 

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