IA et fonction RH : Des mythes et quelles réalités ?

Nous vivons actuellement une transformation majeure de société intrinsèquement liée à la large révolution scientifique et technologique que constitue mes NBIC qui sont l’interconnexion croissante entre « l'infiniment petit (N), la fabrication du vivant (B), les machines pensantes (I) et l'étude du cerveau humain (C)[1] ». Ces NBIC correspondent à la convergence de différentes sciences qui, jusqu’alors, étaient des disciplines autonomes. Les Nanotechnologies permettent d’accéder à l’infiniment petit, le milliardième de mètre, correspondant à l’atome. A ce niveau, on peut modéliser l’ensemble de notre monde, physique comme tout le monde vivant, humain compris, dans tous les processus de modélisation jusqu’au vivant.

Les NBIC se situent dans la continuité historique des sciences qui a commencé avec Pythagore il y a déjà 25 siècles, qui peut être résumé dans cette formule, Toute chose est nombre. C’est dans ce continuum qu’à partir de la Renaissance, les hommes créateurs de la science moderne ont repris cette idée pythagoricienne du « Tout est mathématique ». Galilée dit ainsi « Le livre de la nature est écrit en langage mathématique. » Ainsi, les mathématiques constituent une science universelle (mathesis universalis) sur laquelle il est possible de fonder l'ensemble des connaissances. Galilée, au 17èmesiècle, affirme que les mathématiques sont l'outil idéal pour décrire le monde physique. Il développe l’idée que les lois de la Nature sont écrites en langage mathématique. Et maintenant c’est l’Homme lui à qui les sciences s’intéressent dans ses dimensions les plus intimes de sa personne.

La révolution numérique

 Le volume des données croît de manière exponentielle. Ainsi, chaque jour, 2,5 quintillions[2]d’octets de données sont créés. Plus de 90% des données disponibles aujourd’hui ont été créés au cours des deux dernières années. Ces données proviennent d’origines très diverses : des mails, des posts dans des médias sociaux, des partages de photographies, de vidéos, de musique, des traces de visites sur des sites web, des données de transactions sur des sites marchands, des objets connectés…..

Toutes les entreprises du numérique telles Google, Facebook sont de gigantesques entreprises de traitement des données concernant chacun des utilisateurs de sa plateforme, c’est-à-dire une grande majorité d’entre nous. Les requêtes multiples et variées que chacun fait apportent des informations permettant de définir un profil précis sur la personne.

Ainsi, les « Big Data » recouvrent l’ensemble des problématiques associées à la collecte et au traitement de l’ensemble des données (textes, vidéos, images, nombres, clics, signaux, capteurs, données collectées dans des cookies etc.). Mais surtout elles bénéficient de la convergence de toutes les données sur un même format numérique. Pour les collecter et les traiter, il est nécessaire de disposer de plateformes de calcul s’appuyant sur des algorithmes de plus en plus sophistiqués. Mais ces données (souvent plusieurs milliards) n’ont de sens que si on parvient à les valoriser. La difficulté est qu’elles sont de très grande dimension et sont souvent produites par des sources d’information multiples et hétérogènes il est nécessaire de développer de nouvelles architectures de stockage et de calcul réparti à très grande échelle, et de concevoir des méthodes innovantes de traitement pour en extraire les données pertinentes. Ainsi, les données dont a besoin le monde de la bourse correspond à la collecte et la gestion de flux de « haute fréquence » par des algorithmes detrading high frequency pouvantdonner et gérer un millier d’ordres par seconde.

Les « Big Data » ont pénétré en quelques années la plupart des activités : santé, finance, grande distribution, banque et assurance, politiques publiques, sécurité, et évidemment la recherche scientifique. Elles ont déjà un impact important dans de nombreux domaines avec des enjeux financiers importants. C’est en quoi la plupart des acteurs économiques considèrent le Big Data comme un axe fondamental de leur stratégie.

Ces différentes caractéristiques, qui sont au cœur même du Big Data, engendrent des difficultés d’analyse : les approches statistiques « classiques » sont souvent inopérantes, ou alors trop coûteuses numériquement tant à cause du volume que de la variété des données. De plus, par opposition aux statistiques « traditionnelles », les données sont collectées de manière aléatoire et non contrôlée. Elles sont donc souvent médiocres, manquantes ou parasitées par des « bruits ». C’est pourquoi ce très grand volume de données et leur vitesse de traitement nécessitent de développer des méthodes très sophistiquées. Les problèmes de Big Data requièrent des solutions spécifiques, reposant sur des théories et des principes radicalement nouveaux.

Pour réussir, on doit intégrer l’approche du Big Data dans une dimension résolument pluridisciplinaire pour associer l’informatique (de l’intelligence artificielle aux bases de données en passant par le calcul algorithmique), les statistiques, le traitement du signal et des images, les sciences humaines et sociales. Il faut faire se côtoyer mathématiciens, informaticiens, économistes et sociologues, mais aussi des philosophes et des sages. En effet, Pascal décrivait déjà le vertige qu’il éprouvait dès le 17èmesiècle, avec la découverte de l’existence de l’infiniment petit et en même temps de l’infiniment grand. C’était la conséquence du développement des premiers outils d’observation soit tournés vers l’infiniment petit invisible à l’œil nu, ce furent les microscopes, soit vers l’infiniment grand du cosmos, et ce furent les lunettes d’observation. En échos, à la même époque, Rabelais insista sur le fait de la nécessité de savoir que science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Nous devons être très vigilants à la façon dont les technologies vont faire bouger nos modes de représentations et notre relation au monde et à autrui et à nous-mêmes. La phrase de Rabelais, bien au contraire constitue une règle qui devrait dominer tous les praticiens et professionnels opérationnels tout comme les scientifiques.

Un match Homme-Robot Androïde ?

Après la partie d’échecs entre l’homme et la machine en 97 entre Kasparov, nous eûmes voilà quelques mois un match entre un des premiers joueurs de Gô et une machine qui vit ce dernier gagnant. On réalise maintenant que la possibilité d’une confrontation entre une intelligence naturelle, purement biologique, et une intelligence artificielle est envisageable dans un proche pas si lointain. Nombreux commencent à réaliser les dangers auquel l’Humanité est, dans un futur pas si lointain, dans une confrontation avec la technologie[3]: jusqu’où celle-ci améliore-t-elle l’espèce humaine et comment maintenir sa maitrise ? N’existe-t-il pas un risque d’une autonomie de la machine qui tel Hal dans l’Odyssée de l’espace ainsi de détruire l’Humain pour se maintenir en vie( ?). L’Homme qui est en train de construire une intelligence artificielle vivante sera-t-il toujours en situation de soumettre sa volonté à celle de robot humanoïde ? Faut-il améliorer l’espèce humaine ? La technique peut-elle tout réparer ? Ou peut-on faire l’amour avec un robot ? L’intelligence artificielle va-t-elle tuer l’homme ?... Telles sont les questions à qu’un nombre de plus en plus important de personnes se posent[4].

Mais on est encore très loin du fameux Skynet de Terminatorou des IA de Matrix. “Dans tous les romans de science-fiction, on voit les robots qui se rebellent parce qu’ils veulent prendre le pouvoir ou deviennent meurtriers parce qu’on menace de les déconnecter. Tout ça vient d’une espèce de projection des qualités et des défauts humains dans les IA. Il leur est prêté un instinct de préservation, de la jalousie ou un désir de puissance alors qu’il n’y aucune raison que ce soit présent dans les machines intelligentes. Ces qualités et ces défauts sont présents chez les humains parce que l’évolution nous a construits de cette manière afin que l’espèce survive. Mais nous n'avons aucune raison de construire ce genre de comportements dans les machines[5].

Mais l’irruption de l’IA dans le quotidien de chacun va, surtout, rapidement poser des questions de concurrence avec les humains : Est-ce que les robots vont nous prendre notre travail ?Ce ne sont pas des questions éthiques pour s’interroger si le robot doit obéir à l’humain, mais plus prosaïquement de connaitre l’impact de l’introduction de ces nouvelles technologies dans la vie professionnelle en remplaçant l’humain par des machines.A l’heure actuelle, les technologies les plus représentatives de ce que sont les IA restent les systèmes de reconnaissance d’images ou de compréhension du langage naturel. Mais dans un futur proche, à une échelle de 10 à 15 ans, nous devrions voir apparaître, à en croire Yann LeCun, de nouvelles machines “qui vont révolutionner la société” : Des voitures (et camions de livraison) qui se conduisent seuls, des outils de diagnostics des maladies et d’assistance et de traitements médicaux, des assistants personnels traitant de façon autonome les informations (juridiques, comptables, journalistiques…), des traducteurs automatiques en temps réel….

Un changement de paradigme

A cette dimension conceptuelle, notre 21èmesiècle y ajoute des technologies nouvelles permettant d’observer et d’agir sur l‘infiniment petit. Et ainsi le développement d’algorithmiques couplés avec les nanotechnologies permettent des manipulations de données de grande ampleur par l’ordinateur. Les mathématiques sont nécessaires à la maîtrise des ordinateurs, mais, en retour, les ordinateurs conduisent à pratiquer les mathématiques de manière différente et donnent une vision nouvelle des objets abstraits que la machine manipule mieux que l’esprit humain et avec une sûreté incomparable[6]. Ainsi, le développement actuel des NBIC dans ses différentes déclinaisons autour des big data, des robots/androïdes et de l’Intelligence Artificielle (IA) est en train de construire une autre société, c’est-à-dire un vrai changement de paradigmes [Kuhn, 1972 et Morin, 1979, 1990] ou épistémè[Foucault, 1966]. Ces changements se concrétisent par le passage de valeurs de la modernité à de nouvelles, différentes que faute de mieux nous désignons de post-modernes [Lyotard, 1979 et Maffesoli, 2012]. Ce changement de paradigme se caractérise notamment par le passage de la notion d'individu, sujet isolé, à celle de personne en lien, relation et miroir avec autrui [Leroux, 1999]. Comme avec la « littératie » pour l’arrivée de l’écriture [Goody, 1986], nous proposons la notion de « numéritie » pour décrire la façon dont le développement des technologies numériques induit une relation différente au monde, à l’espace, au temps, à la connaissance, à l’apprentissage, à autrui et à son intériorité [Silva, 2002, 2012].

Conséquences de ces changements pour la fonction RH :

La fonction RH est profondément concernée par ces transformations induites par les NBIC dans trois dimensions :

  1. Faire comprendre les mutations (et la disruption) à venir que l’entreprise va connaitre : A partir de la vision du dirigeant, accompagner les salariés afin qu’ils la traduisent en terme de changements et de transformation
  2. Accompagner les transformations du travail et du management
  3. Transformer la fonction RH

Comprendre (et faire traduire) les transformations de l’entreprise

La plupart des secteurs en mutation et/ou en rupture ?

Beaucoup de secteur sont en train de vivre ce type de mutations mais dont les changements sont tellement rapides qu’ils sont des ruptures. En effet, des activités deviennent obsolètes et disparaissent brutalement au profit d’une autre qui est complètement nouvelle. Nous avons connu cela avec le passage de la mécanographie à l’informatique. Les référents métiers et les compétences n’ont plus rien à voir entre eux. Contrairement à d’autres activités qui évoluent progressivement dans lesquelles ce sont seulement des compétences qui bougent ou qu’il faut compléter avec d’autres. Le cœur de métier reste alors le même. La mutation des activités, qui dans beaucoup de cas va se traduire par une kodakisation de l’activité, une disruption faisant disparaitre les métiers et les activités du secteur. Certaines études (MIT, Roland Berger) évoquent que ces technologies allaient transformer (voire supprimer) dans les 10 prochaines les 2/3 des emplois et métiers actuels. Des technologies numériques alliant souvent robotisation, données (Big Data) et IA vont intégrer des activités intellectuelles qui nécessitaient jusqu’alors de la présence humaine par sa plus-value.

Les mutations dans l’automobile : un exemple des transformations en cours

Depuis l’invention de l’automobile au début du XXème siècle, les principes restent les mêmes : le moteur à explosion et une carrosserie qui a offert un habitacle avec toujours un tableau de bord avec un volant et des sièges à l’avant et à l’arrière. Avec l’autonomisation croissante des voitures, la place des écrans, les constructeurs sont en train de repenser la vie à bord, qui va être tournée pour le conducteur aussi vers la détente. Plus salon que siége, demain, les clients choisiront leur voiture plus en fonction de son design intérieur que de son profil extérieur. Mais l’autoguidage des voitures va induireun habitacle bourré de technologies. De la reconnaissance faciale pour identifier le conducteur, à l’adaptation des réglages (siège, musique, ambiance), des commandes vocales ou gestuelles pour gérer les différents écrans qui remplaceront le volant. C’est ainsi que les deux grands métiers, ceux de la carrosserie et du moteur sont mis à mal. Le moteur à explosion vit ses dernières décennies. La traction électrique ou hydrogène nécessite d’autres métiers, tout comme le véhicule autonome requière des compétences nouvelles dans les domaines innovants de la géomatique, de la robotique mobile, du big data, du cloud computing, de la vision par ordinateur, de l'apprentissage automatique et de l'intelligence artificielle.

Et puis la voiture des villes n’est plus celle pour effectuer des longues distances. Elle est électrique et connectée, mais surtout, une voiture passe 96% du temps à l’arrêt. Pourquoi ne pas utiliser différemment la voiture en proposant aux acheteurs de la mettre en auto-partage : on l’achète pour la partager. Mais est-il vraiment besoin de l’acheter dans ce cas ? On voit ainsi apparaitre une relation différente des personnes avec l’objet « voiture ». Sa possession et l’image qu’elle donne, l’espace et l’environnement expriment ainsi une façon différente de se déplacer. Nos contemporains ont de moins en moins besoin de voiture mais de se déplacer. Ils n’utiliseront la voiture que sous des formes nouvelles telles Auto-lib, d’Uber ou de Blablacar. Tout cela est propice à des ruptures de consommation. Comme kodak qui croyait que ses clients voulaient des photos quand en fait ils souhaitaient des images.

C’est ainsi que beaucoup de secteurs sont en train de connaitre des changements voire des ruptures, tels la grande distribution, les banques de détail avec le e-banking, l’assurance, le secteur postal, l’enseignement, la santé, l’agro-alimentaire ou les structures et les fonctions administratives avec la dématérialisation de l’information, le monde musical, celui des média (largement entamé) ou de l’édition et du cinéma ? Ces mutations sont la conséquence pas seulement du développement du numérique et des nanotechnologies mais aussi de la fin de l’énergie et des matières premières pas chères, d’une recherche du naturel et du sain, de la fin du tout jetable.

Ne pas se préparer à la disruption ou les dangers de la Kodakisation

En 1991, Kodak était leader mondial de la photo. Mais ses dirigeant ne crurent pas que les technologies numériques allaient bouleverser leur marché plus que centenaire de la photo fonctionnant autour de l’argentique. Avec la numérisation, toute la filière allait en moins de 10 ans s’écrouler. L’appareil photo remplacé par le téléphone portable, rendait superfétatoire la pellicule, son développement (avec des laboratoires), les vendeurs d’appareils et de pellicules, les minilabs de développement… En effet, le consommateur ne recherchait plus de la photo sur un support papier mais de l’image qui, numérisée, peut se trouver sur différents supports. N’ayant pas cru et su anticiper ces changements, Kodak entra dans un déclin. Ses effectifs en 10 ans se sont écroulés passant de 145 000 salariés en 1991 à 80 000 en 2000, puis 54 000 en 2004 et 21 000 en 2009. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 7 6000 personnes à y travailler, à avoir survécu aux différents plans sociaux qui se sont succédés à la suite de l’effondrement du marché de la photo.

Changer la GPEC

Les salariés aujourd’hui ont un niveau de compétences de plus en plus important. La GPEC, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui n’intègre pas les enjeux de la disruption causée en premier lieu par les NIC. La fonction RH doit cependant continuer à traduire les évolutions en terme de compétences pour leurs salariés. La GPEC avait pour mission jusqu’ici d’aider l’entreprise à faire évoluer chacun en proposant des formations permettant l’acquisition de ces nouvelles compétences permettant à chacun de maintenir un bon niveau d’employabilité. Mais il faut repenser la GPEC pour qu’elle devienne un enjeu de la prévision non pas tant comme art divinatoire qu'un accompagnement vers un avenir incertain. Car la prévision n'est pas de définir un but mais une démarche pour associer l’ensemble des parties prenantes sur différents scénarii afin que l’écosystème qu’est en train de devenir toute entreprise devienne un collectif agile qui sera construire son avenir. En fait, cette démarche prévisionnelle doit être l’occasion de réfléchircollectivement à cet avenir. Ainsi, cela permet decréer du lienentre les acteurs afin qu’ils construisent ensemble une relation de confiance. Car l’inquiétude pointe : les technologies numériques ne vont-elles pas supprimer beaucoup d’emplois :

Car pourmettre en place ces activités nouvelles, il est nécessaire à chaque fois de développer de nouveaux métiers générant une culture et une organisation elles aussi nouvelles. Ce qui passe souvent par des rachats d’entreprise. Dans tous les cas, une rupture est à la fois délicate et lourde à gérer. Peu d’entreprises réussissent avec succès (et sans dégâts « collatéraux ») ce type de transformation, sinon qu’en recrutant des compétences, tout en formant en profondeur les salariés et en transformant l’organisation du travail et ses processus. IBM est un bon exemple d’une mutation. Ce ne fut possible que par une vision claire des dirigeants qui dès les années 90 avaient compris les nouveaux enjeux du monde de l’informatique. Ils surent décliner leur démarches à la fois par des cessions d’activités (dans la production d’ordinateurs), des rachats (dans les activités de conseil en premier lieu) mais aussi par une politique RH alliant des politiques de départs volontaires, de formation et de management qui tous furent originaux mais aussi… couteux.

C’est ainsi que la fonction RH est en première ligne pour contribuer à apporter des réponses aux conséquences d’une disruption pour une entreprise.

Accompagner les transformations du travail et du management

Les changements dans le monde du travail nécessitent de nouvelles approches pour générer l’émergence de nouvelles pratiques correspondant à de nouvelles organisations dans les entreprises. Il est nécessaire de repenser le travail car « l’impact des technologies va devenir irréversible et va provoquer l’émergence d’un autre rapport au travail. À partir de là, d’autres formes organisationnelles apparaîtront pour se mettre en phase avec les individus mais aussi avec desmodes de production différents [Enlart et Charbonnier, 2013].»L’entrée du numérique dans l’entreprise se manifeste par une transformation dans l’organisation du travail, dans les relations hiérarchiques et donc dans le management. Ainsi, de nouvelles formes d’organisation du travail (NFOT) émergent autour des notions de virtualisation des relations interpersonnelles permettant un travail ubique[7], virtuel et collaboratif [Charpentier, 2007]. Mais plus largement, les technologies numériques participent à la remise en question du mode d’autorité sur lequel se sont construites les révolutions industrielles précédentes. Mais cette réflexions’inscrit dans une évolution épistémologique majeure qui fait passer le domaine de la gestion, d’une vision technocentrée vers une vision anthropocentrée (Zacklad, 2013) avec une ontologie renouvelée ancrée sur la notion de personne, en rupture avec les conceptions « modernistes » sur l’individualisme.

La division taylorienne et pyramidale du travail et les logiques de service à moindre coût deviennent des obstacles aux enjeux actuels. Coopérer repose principalement sur une valeur, le partage, et sur la capacité de communiquer et d’interagir avec les autres (partenaires, clients, fournisseurs, collaborateurs, prescripteurs…). « La période post-industrielle déplace l’efficacité de l’individu vers le collectif » (Veltz, 2008). Un cerveau d’œuvre (Volle, 2000 et 2011) symbolise ce travail collaboratif basé sur la coopération entre les membres d’une équipe autour d’un projet commun, et la qualité d’un travail collaboratif repose sur des comportements basés sur la confiance instaurée avec autrui. Cette activité n’est plus seulement fondée sur une organisation hiérarchisée traditionnelle, mais sur un nouveau mode de travail impliquant plusieurs personnes. Il faut donc pour qu’un travail collaboratif soit efficace (Enlart et Charbonnier, 2013) :

  • Avoir (et créer) des liens de confiance entre ses membres ;
  • Une bonne compréhension par chacun du projet ;
  • Une bonne implication des personnes ayant des compétences diverses pour favoriser le métissage ;
  • S’appuyer sur des outils collaboratifs pour favoriser le partage des activités.

Ainsi, les entreprises commencent à installer des lieux et des moments conviviaux pour créer les conditions d’interactions entre les personnes qui en retour favorisent la motivation et l’innovation. Il est de moins en moins possible d’identifier le travail fourni par chacun. La recherche de reconnaissance individuelle laisse place à celle du collectif (Caillé, 2007). Ces organisations permettant de développer une Intelligence Collective peuvent être effectuées de manière synchrone ou asynchrone et à distance. Les notions d’unité d’espace et de temps sur lesquelles fonctionnait le monde du travail sont ainsi remises en question.

Le résultat d’un travail collaboratif n’est pas nécessairement synonyme d’efficacité ni de gain de temps. Il dépend en premier lieu de la motivation des acteurs à collaborer. Il s’appuie sur des outils/applications permettant des usages très divers autour du collaboratif, du virtuel et à distance (Silva et Soulier, 2011):

  • Le bureau virtuel (notes, documents, planning…) permettant de partager de l’information,
  • La création, l’enrichissement et le partage de ressources (fichier, blogs, sites, bases de données…) permettant de partager et de créer de la connaissance,
  • Les réunions de travail (pas nécessairement en présentiel) s’appuyant sur des documents et/ou permettant de construire ensemble des documents, des prises de notes collectives…
  • La rédaction (en synchrone et/ou asynchrone) de documents en écriture collaborative,
  • Des formations à distance.

De nouvelles pratiques commencent à apparaître. L’expérience de certains chefs d’entreprise met en exergue des modes d’organisation et des principes en rupture avec les fonctionnements traditionnels en particulier dans leurs relations managériales. Ainsi, Tony Hsieh, fondateur de Zappos, entreprise de 1,2 milliard de chiffre d’affaires, proclame la fin des managers et explique la façon dont il fait disparaître le management de proximité au profit de communautés professionnelles, les membres d’une équipe se régulant entre eux (Hsieh, 2011) ou Vineet Nayar (2011), président de la HCL Technologies Ltd met ses salariés au centre de son entreprise. Plus près de nous, à Montauban, la biscuiterie Poult a mis en place une organisation du travail centrée sur des modes de fonctionnement en équipe qui éliminent les agents de maîtrise.

L’émergence de ces Nouvelles Pratiques Managériales (NPM) fonctionne sur une relation de responsabilité des membres de l’équipe. Pour comprendre les principes, il faut s’appuyer sur les travaux développés à la fois par Étienne Wenger (1998, 2005) sur les Communautés de Pratique (CoP), d’autre part sur ceux de Jean Daniel Raynaud (1997) sur la Théorie de la Régulation Sociale (TRS) et enfin sur ceux du MAUSS sur le don et le contre don (Caillé, 2007). Mais il nous semble également important de nous appuyer sur les travaux d’Elinor Ostrom sur les biens communs, leur gouvernance et leur gestion (Ostrom, 2010). Le concept de CoP permet d’appréhender les notions, à la fois de communauté qui constitue un élément majeur des nouveaux paradigmes émergeant sans s’intéresser à l’aspect d’apprentissage, fort développé dans ce genre de communauté. Il nous semble important d’associer à ces NPM, la Théorie de la Régulation Sociale (TRS) qui constitue un concept majeur de la sociologie du travail contemporaine. En effet, depuis une vingtaine d’années, la TRS fait apparaître la façon dont les acteurs peuvent développer une autonomie en déployant des principes nouveaux de gouvernance à partir desquels les organisations mettent en place de nouvelles formes de fonctionnement propres impliquant leurs parties prenantes. La gouvernance collective prend le pas sur la décision individuelle. Ainsi, les solutions sont discutées, aléatoires, variables dans le temps et l’espace (Padioleau, 2004). La décision change ainsi profondément de nature. L’idée que l’action n’est que rationnelle est ainsi mise à mal (Damasio, 1995, 2003). L’humain ne peut plus être réduit à sa seule dimension rationnelle. Il est dans une rationalité limitée (Maffesoli, 2003). Ainsi, dans les organisations, la question du doute, et de sa gestion, devient centrale. C’est pourquoi, le management va devoir s’appuyer sur le principe de régulations afin de gérer l’incertitude qui caractérise aujourd’hui toute organisation. C’est dans ce cadre que nous voulons utiliser et croiser ces outils conceptuels qui concernent les formes « macro-fonctionnelles » d’une organisation pour les appliquer aux modes plus restreints des équipes aujourd’hui gérées par le management de proximité, du meso-fonctionnement. C’est ainsi que la TRS fait apparaître clairement l’importance de la régulation comme moyen d’ajustement constant et régulier, d’une autre nature que celle de la négociation.

Conséquences de ces changements dans l’organisation même de la fonction RH

  1. Faire évoluer l’entretien individuel annuel
  2. Développer des communautés (Réseaux sociaux) RH (Animation, thématiques…)
  3. Accompagner des Nouvelles Pratiques Managériales dont le Management virtuel
  4. Développer une logique Market Place :

Beaucoup d’applications sont dédiées à la fonction RH. Elles représentent plus de 500 éditeurs en France seulement. Elles sont de plusieurs ordres :

  1. Conciergerie/
  2. Convivialité
  3. Recrutement
  4. Formation
  5. Réseaux Sociaux d’Entreprise

Des Nouvelles Pratiques Managériales

Au cœur de ces NPM, on trouve une valorisation des notions de personne(s) et de commun(s).

Ces NPM sont basées sur la confiance et la bienveillance à partir desquelles l’entreprise peut développer une responsabilisation et une autonomie dans les décisions

  1. Définir les modes de régulation(s) et d’ajustement(s)
  2. Développer une culture de la conversation et de la discussion
  3. Développer une virtualité alliée à une convivialité de tous les instants.
  4. Accompagner les managers dans le développement du Travail à Distance (TàD)
  5. Développement des
    • Communautés d’apprentissages
    • Communautés virtuelles (RSE)

Le dictionnaire (Larousse) la désigne comme « l'ensemble de théories et de techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l'intelligence ».En fait , l’IA s’intègre dans une mutation majeure des sciences et techniques.  

 

[1]Humain : une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies,Monique Atlan et Roger-Pol Droit, Flammarion, 2012

[2]Un quintillionreprésente le nombre 1030, c'est-à-dire 1 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000, soit un milliard de trilliards(109x1021). Un quintillion est égal à un million à la puissance cinq, d'où le terme. (Source Wikipédia)

[3]Cf. le livre débat entre Jean-Michel Besnier et Laurent Alexandre Les robots font ils l’amour ? Dunod (2016).

[4]Cf. Le manifeste signé par Elon Musk, Stephen Hawking et Bill Gates sur leur peur de l'intelligence artificielle (Février 2016)

[5]Yann LeCun, « L'apprentissage profond : une révolution en intelligence artificielle : Leçon inaugurale »,  au Collège-de-France (4 février 2016)

[6]Cf. le site de Michel Volle

[7]Adjectif construit à partir de la racine latine « ubique », partout, qui a donné le concept d’ubiquité et qui traduit aussi ici la notion de réparti et du diffus, presque dématérialisé.

  

 

 

        

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